Monseigneur Germanos de Patras : le prophète grec de la Liberté

Par

Jean-Baptiste HUBERT,

Spécialiste en intelligence économique et des questions de sécurité et de défense,

Membre du comité « Sécurité Intérieure » de l’Aqui-IHEDN ;

Le Serment à Aghia Lavra, peinture de Theodoros P. Vryzakis, 1865.

Le 25 mars 2021, la Grèce a célébré le 200ème anniversaire du plus important évènement de son histoire contemporaine, à savoir le début de l’insurrection grecque de 1821 qui mit fin à plus de 400 ans d’occupation ottomane (1). Cette manifestation a reçu le soutien et le concours de l’Ambassade de France en Grèce, car cette date marque le début d’une profonde et solide amitié qui lie nos deux pays depuis 200 ans. Ainsi, l’Ambassade de France a soutenu l’exposition virtuelle « La Grèce par amour ! (Ελλάδα για αγάπη!)” de la Bibliothèque Nationale de France (2), pour le volet culturel, sans oublier pour le volet géopolitique, l’achat par la Grèce de 18 avions de combat Rafale, assurant ainsi une certaine stabilité géostratégique et le maintien de la paix dans cette zone sensible (3). Ces liens se sont tissés au travers de combats communs pour la défense des principes démocratiques (liberté, égalité, souveraineté) et par un attachement aux plus hautes valeurs de la civilisation européenne (défense de la patrie, libre expression des arts, système politique démocratique)  que nous a transmises la Grèce antique, tant par la puissance et le  rayonnement culturel d’Athènes que par la force morale et civique de Sparte.

Dès le départ, l’insurrection du peuple grec en 1821 suscita un élan de solidarité et d’adhésion sans précédent, en particulier chez de célèbres auteurs français comme Chateaubriand ou Victor Hugo qui furent parmi les plus fervents défenseurs de l’indépendance grecque. Pour preuve,” L’Appel en faveur de la cause sacrée des Grecs” de Chateaubriand, véritable plaidoyer en faveur d’une intervention française pour aider les Grecs face à l’empire ottoman et “Les Orientales “de Victor Hugo qui se terminent sur un ton  martial, pour ne pas dire lacédémonien : « Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ? Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus, je veux de la poudre et des balles ». Ces textes furent à l’origine de l’expédition de Morée (15 000 hommes), commandée par le général Maison, remportant la célèbre bataille navale de Navarin et chassant les Turcs du Péloponnèse.

D’autres comités et personnalités philhellènes dont certaines des plus influentes de cette époque comme Lord Byron (4) ou le général français Charles Nicolas Fabvier (5) iront jusqu’à se porter volontaires et se battre aux côtés des Grecs, parfois  jusqu’à donner leur vie pour cette cause qui devint, par extension, celle de l’Europe romantique. Pour rappel, Lord Byron mourut du typhus lors de l’héroïque siège de Missolonghi en 1824.

Pour illustrer la commémoration de la guerre d’indépendance grecque, il convient de parler d’un des principaux initiateurs, Monseigneur le métropolite (6) Germanos de Patras, le prophète grec de la Liberté, qui raviva par son exhortation , le sentiment patriotique des Grecs en appelant à leur profonde dévotion et leurs devoirs de chrétiens orthodoxes comme le souligne le magnifique tableau de Theodoros P.Vryzakis, reproduit ci-dessus.

Le futur métropolite patriote est né le 25 mars 1771 dans la ville de Dimitsana dans l’actuelle Arcadie (partie méridionale du Péloponnèse). Extrêmement pieux et observant, Germanos de Patras se sentit appelé à servir le Seigneur Tout-Puissant et à prendre soin de la conscience et de l’âme de ses compatriotes. En effet, depuis le XIV siècle, les Grecs orthodoxes étaient particulièrement persécutés au nom de leur religion, la foi chrétienne orthodoxe, de diverses manières, citons entre autres :

-la djizia, un impôt vexatoire, discriminant et injuste qui obligeait les chrétiens à payer un impôt du fait qu’ils étaient non musulmans en échange d’une supposée protection;

-la devchirmé (cueillette en turc), contrainte qui obligeait les familles non musulmanes à donner leur premier fils à l’Empire. L’enfant était converti de force à la foi musulmane (islam bektachi) (7) et était obligé de servir dans le corps des janissaires (yeniçeri en turc soit les nouvelles troupes).

C’est ainsi qu’il commença son ministère en tant que prêtre, puis comme protosyncelle (8) du métropolite Georgios,  à Smyrne, qui fut à trois reprises Patriarche de Constantinople (9). En 1818, Germanos de Patras fut consacré métropolite de Patras par son ancien supérieur.

Parallèlement, il adhéra à la célèbre organisation secrète de résistance grecque, “la Société des Amis” (Filiki Eteria en grec), la plus importante des organisations de résistance grecque co-créée à Odessa en 1814 par Nikolaos Skoufas, Athanasios Tsakalov et Emmanuel Xanthos. Cette société se fixa comme but la libération de la Grèce et la mise en place d’une république inspirée du modèle de la République Française. Cette organisation a donné également à la Grèce contemporaine, sa magnifique et virile devise  : « La Liberté ou la Mort » (ὴ Ελευθερία ή θάνατος/ Elefthería í thánatos, en grec), ainsi que nombre de héros de l’indépendance, tels que Alexandros Ypsilantis, chef militaire de l’organisation et fondateur du second Bataillon sacré (10) et de chefs klephtes comme le célèbre Anagnostarás (11).

En son sein, Germanos de Patras s’y impliqua intensément et devint l’un des chefs politiques de cette organisation, atteignant le rang d’Archipasteur (12), signe de sa profonde implication dans les préparatifs de l’insurrection de mars 1821.

C’est justement lors du déclenchement de cette insurrection qu’il se rendit célèbre et fut à l’origine du mythe fondateur de la bénédiction du futur drapeau national grec, sur lequel les jeunes volontaires ont prêté serment de lutter pour l’indépendance de la Grèce et de se rendre à Patras pour commencer la lutte et libérer la ville. Au moment le plus solennel, il se distingua par son exhortation au peuple grec qui résonne encore de nos jours dans la mémoire collective grecque, exhortation qu’il termina ainsi: : « …Armez-vous donc race hellénique, deux fois illustre par vos pères ; armez-vous du zèle de Dieu : que chacun de vous ceigne le glaive ; car il est préférable de périr les armes à la main, que de voir l’opprobre du sanctuaire de la patrie . Brisons nos fers et le joug qui charge nos têtes, car nous sommes les héritiers de Dieu, les co-héritiers de Jésus-Christ (13).

Au cours de la guerre d’indépendance, il continua à exhorter ses compatriotes et à les galvaniser lors des combats. Suite à la guerre d’indépendance, après une période de voyage en Europe de l’ouest, il retourna en Grèce en 1824 et, loin de retourner à ses devoirs ecclésiastiques, il s’impliqua au niveau politique et fut nommé, en avril 1826, président de l’une des deux commissions gouvernementales créées lors de la 3èmeAssemblée Nationale Grecque.

Afin d’honorer son patriotisme et son engagement, la Grèce a honoré sa mémoire par une statue monumentale qui orne l’esplanade de l’Université d’Athènes.  

Plus de 200 ans après le soulèvement de la Grèce, cette magnifique exhortation trouve encore son écho et redonne un regain d’espoir et de patriotisme au vaillant peuple grec. Il est toujours harassé par les conséquences de la crise économique de 2008 et est soutenu à bout de bras par l’Église orthodoxe de Grèce qui aide quotidiennement les siens par la mise en place de soupes populaires. Face aux ambitions grandissantes de la Turquie, au nom de l’amitié franco-grecque, nous nous devons d’offrir la médiation nécessaire au maintien de la stabilité et prêter notre concours à la normalisation des relations gréco-turques en particulier vis-à-vis de la situation chypriote.


(1) « La France s’associe aux célébrations en Grèce du bicentenaire grec », Site de l’ambassade de France en Grèce, Ministère des Affaires Étrangères, consulté le 01/04/2021, disponible sur : https://gr.ambafrance.org/La-France-s-associe-aux-celebrations-en-Grece-du-bicentenaire-grec

[2] « Pour son bicentenaire, la Grèce célèbre les «philhellènes» français », Bonjour Athènes, consulté le 01/04/2021, disponible sur : https://www.bonjourathenes.fr/pour-son-bicentenaire-la-grece-celebre-les-philhellenes-francais/

[3] HUSSON Jean-Pierre, « Athènes signe pour le Rafale », RAIDS N°416, p 90, consulté le 01/04/2021.

[4] George Gordon Byron (1788-1824) , 6ème baron Byron, fut sûrement l’un des plus grands poètes britanniques de son temps, tant par la qualité de ses œuvres que par la portée de leur rayonnement dans l’Europe romantique, à l’instar de son compatriote Percy Bysshe Shelley. Ses œuvres comme Don Juan, Lara ou encore le Giaour  demeurent à ce jour des classiques. Philhellène convaincu, il partit comme volontaire pour libérer la Grèce de l’emprise ottoman et combattit aux côtés des patriotes grecs lors du siège de Missolonghi.

[5] Charles Nicolas Fabvier (1782-1855), général français, diplomate et homme politique français. Il se distingue à plusieurs reprises lors des guerres napoléoniennes notamment lors des batailles de Crems, de Dürenstein , de Salamanque et de la Moskowa, où il s’illustre par sa bravoure et son ardeur qui le font nommer par l’Empereur chef d’escadron au 6ème corps et poursuit sa carrière militaire lors des campagnes de Saxe et de France. Il sera fait Baron d’Empire et sera parallèlement ambassadeur en Perse, où il sera distingué de l’Ordre du Soleil. En 1823, il s’embarquera comme volontaire avec le comité grec de Londres et commandera une partie des troupes grecques face à Ibrahim Pacha.

[6] Le titre de métropolite est, toute proportion gardée, l’équivalent orthodoxe d’évêque dans le monde catholique.

[7] L’islam bektachi correspond en fait à l’islam soufi pratiqué par la célèbre confrérie des derviches tourneurs de Konya. Cette pratique de l’Islam s’est répandu dans les Balkans par les janissaires , convertis à cette pratique. 

[8] Le titre de protosyncelle correspond à celui de vicaire d’un évêque dans le monde catholique.

[9] Saint Grégoire V de Constantinople (1746-1821) est un saint orthodoxe qui a été à trois reprises Patriarche de Constantinople, la plus haute autorité ecclésiastique du monde orthodoxe. Il a été déclaré hiéromartyr en 1921 pour ses tentatives d’apaiser la répression turque contre les Grecs de Constantinople lors de la révolution grecque de 1821, qui lui vaudront d’être accusé de complicité, pendu et son corps souillé puis recueilli par des marins grecs qui conserveront son corps avec honneur et dévotion. Son corps repose sous la Cathédrale d’Athènes. 

[10] Le titre de Bataillon Sacré est une tradition militaire grecque qui remonte à l’Antiquité. On compte trois unités célèbres qui eurent l’honneur de porter ce titre, le premier serait en fait la célèbre légion thébaine qui était composée d’amants et d’aimés ;  le deuxième a été créé par Alexandros Ypsilantis, chef militaire de la Filiki Eteria et officier grec au service du tsar, à Iasi en 1821et composée de 500 étudiants grecs de la diaspora qui tombèrent en héros lors de la bataille de Drăgășani, pour aider les patriotes roumains et le troisième a été créé le 15 septembre 1942 au Caire , à l’initiative du gouvernement grec en exil, et sera commandé par le futur général Christodoulos Tsigantès et s’illustrera par ses audacieux coups de main et son sens tactique aux côtés du Special Air Service (SAS) britannique, de la Légion Étrangère et de la 2ème DB du général Leclerc et servira lors de la campagne du Dodécanèse. Il est le précurseur de la 1ère brigade parachutiste grecque et de la principale unité des forces spéciales de l’armée de terre grecque, l’ ETA (pour Eidiko Tmima Alexiptotiston, unité spéciale parachutiste).

[11] Anagnostarás (1760-1825) de son vrai nom Chrístos Papayeoryíou, célèbre chef klephte et héros de l’indépendance grecque. Il fut l’un des premiers et principaux dirigeants de la Filiki Eteria. Il est connu comme l’un des plus efficaces recruteurs de la Société et initia le célèbre Theodoros Kolokotronis et Yeorgios Papaphléssas. Il combattit lors des sièges de Kalamata, de Tripolizza en 1821 et tomba les armes à la main face aux troupes d’Ibrahim Pacha lors du siège de Sphactérie le 8 mai 1825.

[12] Le rang d’Archipasteur est un rang réservé aux membres les plus riches et aux ecclésiastiques membres de la Filiki Eteria

[13] Extrait de l’exhortation de Germanos de Patras.