Discours inaugural lors de l’intronisation de l’Évêque Justin d’Europe occidentale
Votre Sainteté,
Très saint Archevêque de Peć, Métropolite de Sremski-Karlovci et Patriarche serbe, Monseigneur Porphyre,
Très Hautes Éminences,
Hautes Éminences,
Excellences,
Vénérables moines et moniales,
Chers pères presbytres et diacres,
Enfants de Dieu,
Chers frères et sœurs,
Le Seigneur dit à Abraham : Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai .Je te bénirai…sois une bénédiction (Gn 12, 1-2).
…Ne t’ai-je pas donné cet ordre : Sois fort et tiens bon ! Sois sans crainte ni frayeur, car le Seigneur ton Dieu est avec toi dans toutes tes démarches (Jos 1, 9)
En acceptant comme venant de la main de la Mère de Dieu la décision de la Sainte Assemblée des Évêques de l’Église Orthodoxe Serbe d’élever mon humilité à la dignité d’évêque du diocèse d’Europe occidentale protégé par Dieu, c’est avec joie et reconnaissance que je magnifie et célèbre le Nom de la Sainte et Vivifiante Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit et que je m’écrie : Béni soit le Nom du Seigneur !
Tout ce que je suis, tout ce que je possède, je l’ai reçu grâce à la miséricorde de Dieu et à la bénédiction de l’Église du Christ, que je sers en toute humilité et sincérité et de tout mon cœur et de tout mon être et selon les talents donnés par Dieu.
Mais le plus grand don, celui de l’accession à l’épiscopat, que j’ai reçu il y a un an de vos mains, Votre Sainteté, est une bénédiction qui ne peut se mesurer avec quoi que ce soit dans ce monde et je tiens aujourd’hui à vous en remercier du fond du cœur. L’année écoulée auprès de Votre Sainteté, comme vicaire épiscopal, dans notre capitale Belgrade, est la chose la plus sublime et la plus belle que j’ai vécue dans ma vie. L’amour paternel, l’immense confiance et compréhension, le soutien en prière et les conseils pleins de sagesse que vous m’avez prodigués, m’ont marqué de leur empreinte pour toute ma vie.
Auprès de vous j’ai appris que l’évêque n’est pas là pour le pouvoir, la prééminence, la domination, mais pour servir tel le Christ dans l’Église, pour le salut du peuple de Dieu et dans l’esprit des paroles de Paul : Je me suis fait un sans-loi avec les sans-loi – moi qui ne suis pas sans une loi de Dieu, étant sous la loi du Christ – afin de gagner les sans-loi. Je me suis fait faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver à tout prix quelques-uns (1 Co 9, 21-22).
Comme jusqu’à aujourd’hui, je m’efforcerai avec votre soutien, de servir l’Église du Christ de façon paisible, honnête et responsable, au sein du peuple de Dieu, et de diriger avec droiture et selon la parole de Sa Vérité !
Vous êtes mon socle, le pilier et la forteresse de la vérité, des honneurs et des louanges. Puissiez-vous vivre très longtemps, en bonne santé et dans la joie et pour de nombreuses années bénies ! Pardonnez, bénissez et ne m’oubliez pas dans vos prières !
Dans cet instant sacré, je me souviens en prière et exprime sincèrement ma reconnaissance à tous mes prédécesseurs dans cette dignité épiscopale : le bienheureux évêque Lavrentije, l’évêque Dosithée de Grande-Bretagne et de Scandinavie ici présent et, en particulier, l’évêque Luka d’Europe occidentale de bienheureuse mémoire dont je suis le successeur indigne, et y a-t-il de joie plus grande que lorsque le fils succède au père, comme le dit saint Grégoire le Théologien.
Ils ont tous, à la mesure de leurs dons, fait paître le troupeau du peuple serbe disséminé, en le protégeant et en le menant à travers diverses Charybde et Scylla, sur le chemin de la foi orthodoxe, dans la tradition de la Résurrection sur la croix bénie et pleine d’amour. Tout cela, il fallait pouvoir le faire, le vouloir, en être conscient et savoir le faire !
De la part de nous tous, merci à eux et de la part du Grand Archihiérarque le Christ, louanges pour les siècles des siècles !
Le christianisme primitif est apparu dans le cadre d’un empire global, en créant ses propres formes afin d’essayer d’apporter et de proposer un autre regard sur le monde. Le christianisme s’est déplacé de Palestine sur une scène globale, pénétrant dans la diaspora juive et transmettant l’Évangile dans la langue de l’époque. Il n’a pas commencé son existence en s’enfermant dans le cadre de la Palestine, en invoquant un passé glorieux – il a subsisté avant tout à la suite de son ouverture et de sa capacité d’absorber tous les éléments positifs de l’empire de l’époque. Si on voulait utiliser une métaphore sur le développement du christianisme, on pourrait dire que la Palestine rurale est sortie d’elle-même et que le centre urbain de l’empire, Rome, est devenu la base de propagation de l’Évangile. L’apôtre Paul, qui fut le missionnaire le plus éminent du christianisme primitif, était lui-même né dans la diaspora, ce qui lui a permis une flexibilité plus grande dans sa mission. Sa langue maternelle était le grec, mais le fait de vivre dans une métropole qui avait accueilli de grandes écoles philosophiques et une grande communauté juive, l’a aidé à être plus sensible à l’évangélisation de peuples différents. Mais par le jeu de circonstances historiques, Jérusalem fut abandonnée assez tôt, du point de vue territorial autant que théologique, tandis que la diaspora devenait le porteur du message chrétien. Avec cet exemple tiré de l’époque paléochrétienne, je souhaite faire remarquer combien l’existence de la diaspora peut présenter aujourd’hui une grande chance et une possibilité pour l’Église dans la mère-patrie d’acquérir de meilleurs aperçus et d’en tirer des enseignements précieux. Notre Église en Europe occidentale représente une minorité quasi insignifiante, mais c’est précisément ce statut de minorité au sein des sociétés occidentales contemporaines qui constitue une ressource riche et un champ immense pour porter témoignage du Christ crucifié et ressuscité. Les communautés ecclésiales dans la diaspora sont très petites et elle possèdent de ce fait une optique particulière, c’est-à-dire que leur souci est de savoir comment se faire entendre dans une société où on est une minorité, et comment être un bon citoyen d’un autre pays, tout en préservant sa foi orthodoxe, son identité nationale, sa langue maternelle et le sentiment d’appartenance à son peuple et à sa matrice d’origine.
Un défi particulier pour mon humble personne est de réaliser tout cela dans un diocèse aussi chatoyant, au niveau national et linguistique, que celui d’Europe occidentale. Dans sa composition, on trouve douze nationalités et sa juridiction recouvre six pays : la France, la Belgique, la Hollande, le Luxembourg, l’Espagne et le Portugal. Historiquement parlant, ce diocèse ne possède pas un passé célèbre, mais c’est pourquoi il possède, heureusement ou malheureusement, un avenir lumineux, aussi bien à cause de notre peuple serbe qui émigre de plus en plus dans des pays d’Europe occidentale qu’en raison des habitants de ces contrées en quête de sens et de l’enseignement du Christ.
C’est en 1969 que l’Église orthodoxe serbe a créé le diocèse d’Europe occidentale et d’Australie qui couvrait l’Europe occidentale, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. En 1973 l’Australie et la Nouvelle-Zélande en ont été détachées pour former un diocèse particulier, puis en 1990 deux diocèses ont été créés : celui d’Europe centrale et celui de la Grande-Bretagne et de Scandinavie. Enfin en 1994, des fragments de ces deux diocèses et le diocèse ouest-européen de la métropole de Nova Gračanica ont donné lieu à la formation du diocèse actuel d’Europe occidentale.
En recevant ce saint sceptre et en montant sur le saint trône d’évêque d’Europe occidentale, en ce jour du Seigneur de la fête de l’apôtre de l’amour, le saint évangéliste Jean le Théologien, dans l’église de notre saint Sava, je prie Dieu de me fortifier de la puissance du Saint-Esprit et de me faire le don de l’Esprit source-de-vie, de l’Esprit de direction, de l’Esprit qui accorde la grâce et dispense des conseils, de l’Esprit de sacrifice et de ferveur, de l’Esprit de consolation et de l’Esprit de vérité : de permettre à mon épiscopat d’être saint et orné de toute probité, afin de me rendre digne de prier Dieu d’accorder le salut au peuple qui m’est confié. Afin que je sois un guide pour les aveugles, une lumière dans les ténèbres, un pédagogue pour les déraisonnables, un précepteur pour les jeunes, une consolation pour les affligés et un soutien pour les faibles, et que dans cette vie, à travers mon service diocésain, je contribue à perfectionner les âmes du peuple de fidèles dans une piété saine, une foi indomptable, une espérance pleine de confiance et un amour dénué d’hypocrisie.
Élu et intronisé, un évêque représente, selon l’enseignement du Saint Martyr Ignace d’Antioche, l’image du Père (cf. épitre aux Tralliens, III, I), une préfiguration de la place de Dieu (cf. épître aux Magnésiens, VI, I). Dans la main de l’évêque est condensée toute l’autorité spirituelle. Tous doivent suivre la volonté épiscopale, de même que tout le clergé est en harmonie avec l’évêque comme les cordes d’une guitare. Celui qui agit en secret par rapport à l’évêque au sein de l’Église, sert le diable. Car de même que le Christ, uni au Père, ne fait rien sans le Père, de même le peuple de Dieu ne doit rien faire en dehors de l’évêque, dit Saint Ignace dans son épître aux Magnésiens (VII, I). Là où apparaît l’évêque, là doit être la multitude du peuple, de même que là où est le Christ, là est l’Église conciliaire.
Peuple bien-aimé, chers et bienheureux enfants du Christ !
D’un évêque, on attend beaucoup et on espère beaucoup. Et moi, le dernier de tous, je sais que mes forces sont faibles et que mon corps est chétif pour me permettre d’assumer seul la charge de la grâce qui m’a été confiée et de la responsabilité qui en découle, mais je sais aussi que la grâce divine qui guérit les maladies et comble les lacunes, comme les prières de vous tous, me donneront des forces sur le chemin de mon service épiscopal, de la gestion et de l’enseignement et que je consacrerai toutes mes forces à être présent pour tous et être au service de tous. J’ai vécu au milieu de vous pendant près d’une décennie : je me suis promené librement sur les Champs-Élysées, je me suis émerveillé devant les beautés du Louvre et le faste de Versailles, je me suis enthousiasmé et j’ai vibré devant la sublime et très ancienne Notre-Dame, j’ai senti l’esprit joyeux de Montmartre et prié en silence en me promenant sur les quais de la Seine. Nombre d’entre vous sont devenus des amis chers, ils m’ont montré beaucoup d’amour, de respect et de confiance. Je me suis rendu dans vos foyers, certains d’entre vous ont été pour moi des mères, des pères, des frères et j’ai partagé vos soucis, vos chagrins et vos joies. La nouvelle charge que me confie l’Église ne signifie pas que, devenu évêque, j’ai cessé d’être votre père Justin comme jusqu’à présent. Au contraire, je souhaite vous convier, chers frères et chers amis, à bâtir ensemble l’Église de Dieu, à être des collaborateurs les uns pour les autres, dans l’ascèse du salut.
Enfin, une nouvelle fois et de nombreuses fois encore, je souhaite exprimer ma gratitude à Votre Sainteté, père très respecté et bien-aimé, Monseigneur Porphyre, pour m’avoir fait accéder au trône d’évêque d’Europe occidentale, lieu de mon Golgotha mais aussi de la Résurrection. Que Dieu accorde que, maintenant et dans les siècles des siècles, nous soyons un dans le Seigneur Christ.
Merci à vous aussi, frères dans l’amour de Dieu et archevêques, membres de la très sainte assemblée des évêques de l’Église orthodoxe serbe, pour votre présence, votre sacrifice et votre amour, le respect et le soutien que vous m’avez montrés aujourd’hui. Priez pour moi et sachez que vous serez plus que bienvenus dans ce diocèse.
La présence parmi nous des évêques des autres Églises locales représente un honneur et une joie tout particuliers. À partir d’aujourd’hui, nous allons, chers frères, partager la même ascèse de témoignage du Mystère de la Croix et de la Résurrection du Christ Dieu-homme dans les contrées d’Europe occidentale. Je prie que cela soit toujours « d’une seule voix et d’un seul cœur » dans l’amour, dans l’unité de la foi et de la communion du Saint-Esprit. J’espère et je m’efforcerai d’être un membre utile des conseils épiscopaux de France, des pays du Benelux et de la péninsule Ibérique.
Dans l’esprit d’amour fraternel et de respect mutuel auxquels nous appelle le Saint Évangile du Christ, je maintiendrai des contacts et les meilleures relations possibles avec les représentants des autres églises chrétiennes – catholique romaine et protestante – dont je salue fraternellement les représentants présents aujourd’hui que je remercie d’assister à mon intronisation.
De tout cœur j’adresse mes salutations et mes remerciements très sincères à mes chers parents, à mon frère et à ma sœur, à la respectable ambassadrice de la république de Serbie à Paris, à l’ambassadrice de Serbie auprès de l’UNESCO, à la directrice du Centre culturel de la république de Serbie à Paris, aux représentants très respectés et bienvenus parmi nous du gouvernement de la république de Serbie, à tous les membres du clergé de l’archevêché de Belgrade-Karlovci et du diocèse d’Europe occidentale, en particulier au secrétaire général du Saint Synode des évêques et au directeur du conseil de direction du Patriarcat, à mes chers frères de la communauté monastique du Patriarcat, aux moines et aux moniales, à mes chers amis bien-aimés venus de tous côtés pour assister à cette célébration spirituelle afin de me montrer leur amour, respect et soutien.
Priez pour moi et sachez que pour vous tous, une modeste bougie pleine d’amour sincère sera toujours allumée dans mon cœur, là-bas quelque part au loin…
Voilà longtemps que je parle, et beaucoup de travail nous attend ! Il faut prêcher le Christ, et si c’est nécessaire utiliser aussi des mots !
Que la bénédiction de notre Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous, frères et sœurs. Amen !